En 1985, Nelly Rodi fonde l’agence éponyme, l’un des premiers bureaux d’études français indépendants et actuellement toujours leader sur son marché. Son rôle est d’accompagner entreprises et marques en les aidant à anticiper les évolutions sociétales, économiques, culturelles et esthétiques qui influenceront les comportements des consommateurs et les dynamiques du marché. Un travail d’observations et de synthèse qui s’opère à travers le monde pour comprendre comment évoluent les secteurs et leurs écosystèmes. Alors même que l’analyse des micro-tendances a pris le pas sur la compréhension des mouvements de fond, les entreprises n’ont jamais eu autant besoin d’anticiper les transformations profondes de la société pour rester innovantes, performantes et désirables. Découverte d’un métier passionnant au service des marques et des professionnels du marché de l’art avec Maxime Coupez, Directeur Innovation et Prospective au sein de l’agence Nelly Rodi.
« Il y a des signes dans l’inconscient collectif, ce n’est jamais un hasard si les choses sortent au même moment. »
Nelly-Claire Rodi, fondatrice de l’agence.
Intervention de Maxime Coupez aux “Rencontres économiques des Métiers d’art” en juin 2024, le rendez-vous annuel consacré aux Métiers d’art et à leur impact économique. L’événement rassemble une communauté unique d’acteurs économiques, politiques, institutionnels et sociaux. Il valorise les Métiers d’art, soutient leur attractivité et crée de nouvelles synergies entre artisans, entreprises, organismes de formation et territoires, au niveau national.
1. En quoi consiste votre métier?
Nous aidons les dirigeants d’entreprises culturelles et créatives à comprendre leurs clients (actuels ou futurs) d’une manière intime et sensible : ce qui les fait vibrer, leurs références culturelles, leur mode de vie, les choses et les gens qui les inspirent, leur définition personnelle de ce qui est “tendance” et de ce qui ne l’est pas, leur vocabulaire, leur imaginaire, les tribus auxquelles ils appartiennent… Une fois ce travail effectué, nous aidons nos clients à adapter toutes les dimensions de leur offre – produits, services, contenus, expérience retail, événements – à leurs clients. L’idée est de créer une connexion qui aille au-delà de la simple transaction commerciale pour entrer dans les sphères culturelle et émotionnelle. Notre but est d’aider les marques à devenir plus intéressantes, plus pertinentes, plus désirables, tout en étant plus responsables et en tenant compte de la nécessité d’être performantes et efficaces dans un monde de plus en plus concurrentiel. Nos clients vont de LVMH à Netflix en passant par le Centre Pompidou ou la Fondation Bettencourt Schueller.
L’étude NellyRodi©️ « Beyond Trends: Geraring Up for Tomorrow » met en lumière les aspirations de fond des consommateurs dans les 5 à 10 années à venir, le portrait de la société française en 2024, mais aussi les tendances culturelles, sociologiques et esthétiques à venir en 2025.
2. Comment décelez-vous une « tendance » ?
Nous travaillons à différentes échelles de temps : les Megatrends, les tendances saisonnières et les micro tendances.
Les Megatrends sont les tendances de long terme (valables au moins pour les 3 prochaines années). Ce sont les tendances qui ont le plus de valeur car elles correspondent aux aspirations de fond des client.es et il est donc possible de fonder une stratégie long terme sur celles-ci : proposition de valeur de l’entreprise, stratégie d’offre, stratégie retail… Nous établissons ces Megatrends en analysant les grands mouvements socio-économiques et en nous entretenant régulièrement avec des consommateur.rices les plus variés possible.
Les tendances saisonnières sont celles qui vont durer au moins quelques mois. Elles servent à renouveler son plan de communication, sa programmation d’événements, ses collections… Elles portent sur de nouveaux comportements, de nouvelles esthétiques ou de nouvelles références culturelles. Pour les détecter nous mélangeons de l’analyse de données (analyse sémantique, analyse des tendances de recherche sur les moteurs de recherche et les réseaux sociaux, etc.), des entretiens clients et énormément d’observation de toutes les nouveautés dans tous les domaines : nouvelles propositions culturelles, nouveaux produits, nouveaux contenus intéressants produits par des marques. L’idée est d’identifier le plus tôt possible les nouveautés qui ont une chance de se diffuser parce qu’elles raisonnent bien avec ce que nous savons de l’état d’esprit et des nouvelles attentes des consommateur.rices.
Enfin, il y a les microtendances, celles qui naissent spontanément par milliers tous les jours sur les réseaux sociaux. Ces tendances sont impossibles à prévoir. Nous les suivons avec intérêt parce que, si l’on sait les regarder avec recul, elles donnent des indications précieuses sur l’évolution des pratiques et des codes culturels. En revanche, nous encourageons nos clients à lutter contre la tentation de réagir à tout, pour éviter de participer à un système qui encourage la sur-consommation et abime la santé mentale de tout le monde.
3. Quels sont vos apports en termes d’innovation et prospective pour les entreprises d’une part, et pour les professionnels du marché de l’art d’autre part ?
Nous ne croyons plus aux recettes de marketing enseignées dans les écoles de commerce, qui réduisent les « consommateurs » à des systèmes abstraits, modélisables par un nombre restreint de paramètres et qu’on pourrait enfermer dans un « tunnel » ou dans un « parcours d’achat ». Et nous ne voulons pas d’un monde uniforme !
Notre innovation consiste à inventer d’autres façons de faire du commerce : plus créatif, plus humain, plus tourné vers la création de valeur à long terme. Parmi nos derniers sujets d’étude : l’hospitalité dans la stratégie des marques de demain, le rôle du divertissement, la « luxification » de toutes les industries, les nouvelles façons d’allier désirabilité et responsabilité… Nous publions aussi tous les ans le cahier « Life & Style » qui étudie la façon dont la société, la culture, les modes de vie, les aspirations des clients vont évoluer dans les prochaines années.
Cette nouvelle façon de faire du « marketing » est particulièrement adaptée aux acteurs du marché de l’art : elle n’impose pas de jargon, pas de recette toute faite. Elle privilégie la construction d’une relation à long terme avec leurs clients, et en quelque sorte un retour à l’art du commerce.
« La collection a de beaux jours devant elle parce qu’elle est au croisement d’aspirations de fond. »
Maxime Coupez, Directeur Innovation et Prospective chez NellyRodi.
4. Comment voyez-vous évoluer l’acte de collectionner ?
La collection a de beaux jours devant elle parce qu’elle est au croisement d’aspirations de fond : s’exprimer à travers ce que l’on achète, se sentir appartenir à une communauté de connaisseur.ses, se construire de nouveaux rites quasi-religieux, s’éloigner de la consommation de masse, ou encore gagner de l’argent autrement que par le salariat. Elle est désormais au cœur de la stratégie de toutes les maisons de luxe qui font une grande partie de leur chiffre d’affaires avec des produits à collectionner : iconiques déclinés à l’infini, séries limitées et collabs avec des artistes ou des créateurs prestigieux.
Les collectionneur.ses de demain seront :
- Hyper expert.es : le plaisir de collectionner viendra du plaisir d’accumuler de l’information, de savoir ce que les autres ne savent pas, de pouvoir accéder à des sources exclusives, d’enrichir en permanence leur connaissance de ce qu’ils collectionnent ;
- Hyper curateurs : il.elles constitueront leur collection comme des commissaires conçoivent une exposition, avec une capacité démultipliée à raconter des histoires sur leur collection, à assembler, à établir une ligne personnelle, à mettre en scène leurs objets, à se raconter en tant que collectionneur.se, à jouer finement entre ce qui est caché et ce qui est montré…
- Hyper engagés : ils.elles seront à la recherche de moyens de donner un sens supérieur à leur collection. C’est un façon de légitimer l’acte de collectionner et de donner une dimension plus personnelle à sa collection en y mettant ses idées, ses valeurs et ses croyances.
5. Dans votre nouvelle étude “Beyond Trends“, on retrouve parmi les grandes aspirations des consommateurs occidentaux en 2025 une recherche de “ré-ancrage” et quête de sens. Les entreprises ont-elles un rôle à jouer pour ouvrir leurs collaborateurs et leurs clients à des sujets artistiques et culturels ?
Nous en sommes totalement convaincus ! On voit déjà aujourd’hui que les entreprises qui réussissent à conquérir le cœur des gens sont celles qui proposent un univers très riche, qui mélange des produits, des personnages, des lieux emblématiques, des histoires, des happenings, des performances… bref, celles qui sont capables de fabriquer leur propre culture et surtout de travailler dans un écosystème culturel ouvert.
Un « marketeux », un « communicant » ou un designer n’iront pas très loin s’ils n’ont pas une très grande culture et une très grande connexion avec les mondes de la culture et de l’art. Une partie de plus en plus importante de notre travail consiste à connecter les entreprises créatives – luxe, mode, beauté, hospitalité, etc. – avec des créateurs et des artistes pour monter des projets qui étendent leur palette d’expression
6. Artistes, artisans et designers ont une approche simple et concrète des questions sociétales et environnementales. Peuvent-ils eux-mêmes devenir source d’innovation et prospective pour les marques, leurs clients et leurs collaborateurs ?
Dans un monde de plus en plus gouverné par la technologie et les algorithmes, où tout se ressemble un peu, la créativité devient une qualité absolument stratégique pour les entreprises. C’est la créativité qui permet de se distinguer des autres, mais surtout c’est la créativité qui permet de trouver des solutions à des problèmes complexes, comme celui de concilier développement économique et respect de la planète et des humains. Donc les vrais créateurs ont de beaux jours devant eux !
7. Quels “signaux faibles” sont à surveiller dans les années à venir pour les professionnels du marché de l’art ?
Je pense spontanément à deux choses. Tout d’abord, la clientèle fortunée internationale est en train de muter : nouvelles géographies, nouveaux modes de vie, nouvelle vision de ce qu’est le « statut social »… Par exemple en Chine on observe la montée du « Luxury Shame », c’est-à-dire la honte d’afficher sa richesse. C’est assez inattendu, mais nos experts en prospective pensent que c’est une tendance de fond. Les acteurs du marché de l’art vont devoir s’adapter à tout cela, au risque d’être moins pertinents et désirables pour leur clientèle.
Autre tendance de fond : la montée d’une nouvelle culture réactionnaire qui n’a rien à voir avec celle du passé et qui séduit de plus en plus de jeunes partout dans le monde : retour à la famille, refus du féminisme, culte du corps, promotion du travail et de l’effort, rejet d’une culture contemporaine jugée outrancière et superficielle. Des personnes comme Donald Trump ou Elon Musk sont les héros de ce nouveau groupe. Dans ce contexte, il est possible que le monde de l’art subisse des attaques plus véhémentes que d’habitude, auxquelles il faudra savoir répondre.
NellyRodi
NellyRodi est une agence de conseil en intelligence business et créative. Basée à Paris, Tokyo et New-York, elle est un référent mondial de la prospective appliquée aux industries et aux services. Son coeur de métier, basé sur la compréhension de l’époque, des dynamiques sectorielles, et de datas qualifiées et quantifiées, est d’accompagner les marques, les investisseurs, les organismes collectifs dans leur développement stratégique, marketing et produit et dans la compréhension de leur écosystème.
L’agence a obtenu la certification B Corp en 2024, accordé aux entreprises à but lucratif qui répondent à des normes de performance sociales et environnementales, de responsabilité légale et de transparence élevées.
Fondée en 1985, l’agence NellyRodi possède un portfolio composé, entre autres, des plus grands acteurs de l’industrie de l’habillement et de la chaussure dont Nike, Zalando, LVMH, Jacquemus, Coty ou encore Jimmy Fairly. Elle opère également sur d’autres secteurs tels que l’audiovisuel, l’agroalimentaire et la culture.
En 2018, l’agence remporte l’appel à projets de la Mairie de Paris, propriétaire de l’Hôtel Cromot du Bourg situé rue Cadet, dont les salons sont classés « monument historique ». L’agence le métamorphose en véritable hub dédié à l’innovation accueillant régulièrement conférences, masterclasses, concerts et expositions.
Plus d’informations sur www.nellyrodi.com