Œuvre hommage au don d’organes pour le CHU de Reims : rencontre avec Didier Janot, Président de l’association Prisme, et l’artiste Sascha Nordmeyer

Aujourd’hui en France, près de 55 000 personnes vivent avec un greffon fonctionnel. « Il y a urgence sur le sujet », précise Didier Janot, président du club d’entreprises mécènes Prisme à Reims. En 2023, 5 634 greffes ont été réalisées en France, dont 194 au CHU de Reims – 124 greffes de cornées et 70 greffes rénales. Si les chiffres de 2023 rapportés par l’Agence de la biomédecine montrent une progression régulière des greffes depuis 2020, une réticence persiste concernant le don d’organes de patients décédés en mort encéphalique. Dans ce contexte, le nouveau CHU de Reims, qui effectue des prélèvements depuis plus de 30 ans, s’est lancé dans un projet artistique avec l’aide de Prisme pour accompagner et financer le projet. Après un concours regroupant des artistes internationaux, c’est l’œuvre monumentale de l’artiste Sascha Nordmeyer qui a été retenue en avril dernier pour être installée devant le nouveau CHU de Reims. Trois voiles-totems de 5 mètres de haut symboliseront donneurs, greffés et personnel de santé. Le projet vise à honorer la mémoire des donneurs, à sensibiliser au geste du don et à offrir un espace de recueillement pour les familles. Artiste et entreprises mécènes jouent ici un rôle crucial de “médiateur” dans la sensibilisation autour d’une cause qui peut sauver nombre de vies et libérer la parole sur un sujet aussi sensible que complexe. Rencontre avec Didier Janot, Président de Prisme, et Sascha Nordmeyer, artiste sélectionné pour réaliser ce projet monumental et immersif.

« Les trois voiles-totems rendent hommage aux donneurs, aux greffés et au personnel de santé. Rares sont les projets où le geste artistique a un tel impact sur les personnes à qui on dédie l’œuvre. »

Sascha Nordmeyer, artiste auteur du projet “Espace-Temps” pour le CHU de Reims.
© Colin Sayetta
Parvis du nouveau CHU de Reims
© Colin Sayetta

1. Genèse d’une œuvre hommage aux dons d’organes et de tissus

Didier Janot : Les équipes du CHU de Reims voulaient rendre hommage aux donneurs d’organes et de tissus. Sollicité par le Fonds d’action du CHU, nous avons réuni les chefs d’entreprises de Prisme et décidé d’accompagner le projet. L’arrêté national du 29 octobre 2015, portant sur l’homologation des règles de bonnes pratiques au prélèvement d’organes, invite les établissements à créer un lieu de mémoire pour rendre hommage aux donneurs à proximité des hôpitaux et CHU. Au-delà de l’aspect légal, un espace de recueillement et de reconnaissance nous semblait très important pour sensibiliser à la cause. Après plusieurs rencontres, le choix du comité de sélection s’est porté sur l’artiste franco-allemand Sascha Nordmeyer. Avec l’ouverture du nouvel hôpital, ce projet incarne les valeurs du CHU et répond à trois objectifs : honorer la mémoire de ceux qui ont permis de sauver des vies, symboliser et populariser ce geste généreux, et offrir aux familles un lieu de recueillement et de remerciements.

Sascha Nordmeyer : Je connaissais l’association Prisme qui avait déjà financé de nombreuses œuvres à Reims où je réside, notamment le célèbre Luchrone. Lorsque Didier Janot m’a parlé de cet appel à projet, l’idée de rendre hommage et de créer un lieu de recueillement pour les familles m’a tout de suite parlé. Dans un premier temps, j’étais un peu intimidé par ce sujet complexe. Je me suis beaucoup documenté et j’ai ressenti le besoin de former une petite équipe pour échanger et mettre des mots sur ce que je pouvais imaginer. Je savais déjà que la lumière, symbole de vie en lien avec le don d’organes, serait ma porte d’entrée. Il m’a fallu six mois pour élaborer et finaliser cette œuvre que je voulais vivante et sensible. Les choses avaient besoin de mûrir, surtout sur une thématique aussi forte.

« En 2022, 5 494 organes ont été transplantés en France. Malgré ces succès, le taux d’opposition à un prélèvement d’organes reste de 36 % en 2023, un chiffre en hausse, alors que près de 22 000 patients attendent une greffe.»

© Sascha Nordmeyer. Chacune des voiles est composée d’une dynamique spécifique créée à partir d’une technique de « micro-réflecteurs » par des percements qui combinent la technologie et le geste de la main. Une fois découpé selon un fichier informatique et plié manuellement, chaque « réflecteur » réagit au contact de la lumière suscitant le trio reflet/ombre/couleur.
© Sascha Nordmeyer. L’inox, de par sa composition et ses propriétés, est inaltérable, anticorrosif de qualité marine. Il garantit une bonne résistance aux intempéries, répond au protocole de préservation et ne génère qu’un coût marginal d’entretien, pour notamment faire face aux éventuelles dégradations.

2. « Espace-temps » : ode à la lumière et symbole de vie

Sascha Nordmeyer : Designer avant de devenir plasticien, ma pratique artistique se caractérise par une dimension contemplative, abstraite et immersive. J’aime la dimension épurée, aller chercher l’essence des choses, donner de la place au spectateur et à son imaginaire. J’ai donc pensé cette installation monumentale pour permettre une déambulation contemplative, un voyage initiatique et un recueillement immersif. Les trois voiles-totems monochromes réalisées en feuilles d’inox, matériau noble et prisé du corps médical, réfléchissent subtilement les teintes de l’environnement et des personnes à proximité. La composition picturale sur la surface des voiles, créée avec une technique de “micro-réflecteurs”, symbolise le passage de l’inerte au vivant. Chaque voile interagit avec la lumière pour susciter des jeux de reflets, ombres, et transparence accentuant l’effet cinétique et le mouvement perpétuel. Cette œuvre doit également sensibiliser au don d’organes grâce aux informations accessibles via QR code. 

Didier Janot : Ce qui nous a séduit immédiatement  dans le travail de Sasha, c’est la symbolique des trois éléments et la présentation d’une œuvre « sensible » pour honorer le geste du don. La question de l’abstraction est aussi importante, avec la proposition d’une œuvre capable de parler au plus grand nombre. Le traitement de la lumière, rendant l’œuvre vivante et changeante selon l’heure du jour ou de la nuit, apporte également une dimension symbolique et spirituelle au projet. Son esthétique monumentale et son intégration pérenne dans l’environnement ont également été déterminants dans notre choix. Le personnel hospitalier ainsi que les représentants des familles ont été extrêmement touchés lors de la présentation, certains presque aux larmes. L’œuvre semble déjà agir comme une catharsis.

« En tant que chefs d’entreprises, nous sommes aussi des passeurs. »

Didier Janot, Président de l’association d’entreprises mécènes Prisme.

3. Un projet sensible et solidaire rendu possible grâce à l’action d’entreprises mécènes

Didier Janot : Prisme est un club d’entreprises mécènes né en 1989 autour de la célèbre œuvre Le Luchrone à Reims. Un petit groupe de chefs d’entreprises participe alors au financement de cette sculpture technologique lumineuse en forme de bulle de métal réalisée par Alain Le Boucher. L’association PRISME regroupe aujourd’hui une quarantaine d’entreprises de tailles et d’activités différentes. Son objet principal est de réaliser des œuvres monumentales sur le domaine public. Depuis, l’association a élargi ses statuts pour être un acteur culturel régional et accompagner les projets d’art contemporain, notamment le soutien à la jeune création et à l’Ecole Supérieure d’Art et Design de Reims (l’ESAD). Nous sélectionnons et accompagnons des projets artistiques et culturels portés par des collectifs ou associations, ainsi que des projets d’œuvres monumentales sur le domaine public qui font l’objet d’un concours pour être transférés ensuite à la collectivité. Nous accompagnons aussi les chefs d’entreprise dans la pratique du mécénat. Parmi nos membres, certains chefs d’entreprises ont déjà cette expérience tandis que d’autres se forment collectivement à nos côtés. Enfin, nous organisons des rencontres et visites d’ateliers avec des artistes et des professionnels de l’art, auprès de nos membres qui ne sont pas des experts du monde de l’art mais des chefs d’entreprises qui veulent partager l’art et la culture, être des acteurs de la vie de la cité tout autant que des acteurs de la vie économique.

4. Parcours d’un entrepreneur mécène

Didier Janot : Je n’ai pas évolué dans un environnement ou une famille qui m’a initié à l’art, j’avais simplement une sensibilité qui m’invitait à cette rencontre. Je devais avoir à peine 18 ans la première fois que j’ai poussé la porte d’un musée. Mon métier de publicitaire m’a aussi donné la chance de côtoyer des artistes. L’art est devenu une passion au fur et à mesure des rencontres, parfois celles de mentors. Je ne me considère pas “collectionneur” au sens propre du terme. Ce qui m’intéresse, c’est le rapport à l’œuvre, au monde, la vision de l’artiste et le rôle de l’art dans nos vies. La citation de Robert Filliou – “L’art est ce qui rend la vie plus intéressante que l’art.” – définit exactement ce que je ressens. En pratiquant le mécénat, je me rends compte que je suis plus mécène que collectionneur : j’aime partager l’art et le rendre accessible à tous. Alors que je n’étais pas destiné à “rencontrer” l’art, j’initie à mon tour tous ceux qui veulent bien partager cette passion.

5. Du lien entre art, création et entreprise

Didier Janot : La création est le fil rouge de mon parcours, et je considère qu’il y a aussi de l’art dans la notion d’entreprendre. En tant que chefs d’entreprise, nous créons de la richesse et des projets, nous fédérons des personnes, ce qui représente un geste assez similaire à celui de la création. C’est un désir de vie, lié à la sensibilité et à la curiosité. J’ai autant de bonheur à travailler comme Président d’un orchestre à cordes qu’à concevoir un projet artistique ou un projet d’innovation. Je ne fais pas de frontière entre tous ces actes de création. La question de l’épanouissement avec les autres est aussi centrale: les chefs d’entreprises sont aussi des “passeurs”. Être vivant, c’est transmettre et partager.

Sascha Nordmeyer : Les entrepreneurs mécènes font un pont avec l’art pour rendre ces causes visibles. L’association Prisme donne naissance à une passionnante aventure humaine, humaniste et artistique. Je considère pour ma part que la rencontre artiste-entrepreneur est stimulante pour les deux parties : les uns nourrissent les autres. En tant qu’artiste, le soutien des entreprises m’aide à donner une dimension nouvelle à mon travail et à réaliser un projet ambitieux. Quant à mon expérience de designer, elle me donne facilement accès au monde de l’entreprise.

Pour en savoir plus et participer au financement du projet

Sascha Nordmeyer, 46 ans, est un artiste contemporain franco-allemand basé à Reims. D’abord designer, il se fait connaître grâce au projet Communication Prosthesis qui a été exposé au MoMA de New York en 2011. Associant la technologie issue du design et le geste de la main, à partir de 2016, il crée des installations aériennes et transparentes en papier et métal qui invitent le spectateur à s’immerger et développer un rapport intime à l’œuvre. Fasciné par la lumière, il installe dans ses Espaces-temps du mouvement, du rythme, de la vibration. Sascha Nordmeyer expose régulièrement à travers l’Europe et au Japon. En France, il est représenté par la Galerie Slotine à Paris. Outre le métal et le plexiglas coloré, Sascha Nordmeyer utilise principalement, pour ses œuvres résolument musicales, du papier sobre, généralement blanc, qu’il décloisonne en tant que médium. 

À la tête de l’agence de communication Horizon Bleu, Didier Janot est aussi le dynamique président du Club d’entreprises mécènes PRISME, créé à Reims sous forme d’association en 1989. Il est par ailleurs correspondant et administrateur de l’Admical, l’association reconnue d’utilité publique qui œuvre au service du mécénat depuis 1979. Fondateur des sociétés 15-1 Diffusion et ALOHA Nova, Didier Janot a été doublement primé aux Trophées de la communication 2023.

Les chiffres clés du mécénat d’entreprises en France

  • En France, le mécénat d’entreprises continue de jouer un rôle crucial. Actuellement, plus de 100 000 entreprises françaises participent à des actions de mécénat, injectant environ 3,6 milliards d’euros. De ces entreprises, 37 % dirigent leur soutien vers la culture et le patrimoine.
  • Environ 76 % des entreprises mécènes concentrent leurs efforts dans leur environnement immédiat, favorisant des initiatives locales et régionales.
  • Concernant les prévisions budgétaires, 74 % des entreprises mécènes prévoient de maintenir leur budget malgré les défis économiques. Cette résilience est particulièrement importante alors que le ministère de la Culture continue d’adapter ses stratégies pour maximiser l’impact des fonds publics et privés dans le secteur artistique.
  • Le mécénat d’entreprise en France est largement dominé par les TPE (Très Petites Entreprises) et les PME (Petites et Moyennes Entreprises). Environ 96 % des entreprises mécènes sont des TPE et des PME, bien qu’elles ne représentent que 26% des dons en montant. En effet, ces petites structures sont nombreuses à s’engager dans des actions de mécénat, même si leur contribution financière individuelle est souvent plus modeste comparée à celle des grandes entreprises.
  • Les entreprises de taille intermédiaire (ETI) et les grandes entreprises représentent une part plus faible des mécènes en nombre, mais leur contribution financière est plus significative. Par exemple, en 2020, les ETI représentaient environ 3,3% des entreprises mécènes mais le poids de leurs dons déclarés représentaient 26,7% dans le montant global du mécénat.
  • Les ETI les plus mobilisées sur le mécénat sont celles réalisant entre 100 et 500M€ de chiffre d’affaires (CA).
  • La part d’entreprises mécènes dans le domaine de la culture progresse en 2021 pour atteindre 37%. La diffusion d’œuvres et la sauvegarde du patrimoine sont les actions les plus plébiscitées par les mécènes culturels.

 

Source Admical 2022. BAROMÈTRE DU MÉCÉNAT D’ENTREPRISE 2022. Publié tous les 2 ans, le baromètre du mécénat d’entreprise est l’étude de référence qui donne les principales tendances du secteur en France.

 

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